Izabeau JOUSSE, droit dans les yeux
Difficile de parler d'un peintre que l'on connaît si bien. Moi je l'aime pour des raisons qui me sont propres, à croire que nous avons du sang commun dans nos veines…Tous les autres, les amateurs, les collectionneurs et les regards neufs qui entrent dans ma galerie apprécient sa peinture pour de toutes autres raisons. Chacun choisit sa toile, reste accroché à une pupille, une tête qui penche, un rouge si « Izabeau » ou un immense visage blanc presque marbré venu d'un autre siècle. Mais certains ne se justifient pas comme cette petite fille brune qui reste immobile devant « la fugue », un tableau bien plus grand qu'elle et lorsque je lui demande de justifier son choix me répond d'une toute petite voix : « je crois que je ne peux pas expliquer ». La jeune amatrice d'art a choisi et c'est bien là l'essentiel ; je la regarde contempler cette toile et se dessine alors devant moi un véritable tableau.
Izabeau Jousse peint officiellement depuis son entrée en CP, année où son institutrice a reconnu, à un âge encore improbable, une artiste. Ce fut alors sa première exposition. Depuis elle n'a cessé de travailler et expose en galerie depuis 30 ans. Reconnu par les professionnels et admiré des particuliers, Izabeau Jousse nous offre dans cette exposition de tableaux un travail de portraits plus que jamais maîtrisé. Du figuratif certes où les abstractions s'incrustent sous un geste spontané.
Habitués aux couleurs chaudes, laissez vos yeux déambuler sur ces immenses tableaux blancs, ces visages cernés par le fusain, ces regards si présents qui vous happent par mégarde.
Marie Jousse, Galerie Eugène
Des visages et des têtes et encore des figures.
Pourquoi ? Je ne sais pas, mais la question se pose, s’éloigne et puis revient.
Est-ce très intéressant d’en savoir un peu plus sur ce qui vient de loin, se révèle en silence ?
Je ne peux pas le dire avant d’avoir cherché, un peu, beaucoup, en me laissant glisser.
J’ai trouvé ce qui vient, comme une apparition, floutée et très diffuse, puis légèrement empreinte d’intuitions prometteuses.
Mon instinct, doucement, me met sur une piste.
Des nez, des bouches, des yeux, jamais vraiment les mêmes… un peu il faut l’avouer.
Là n’est pas l’important, j’envisage un ensemble ou les détails comptent.
Cette rose anatomie arrive et se modèle sur une toile d’abord blanche, prête à prendre parti.
Le fond est souvent rouge avant de préciser.
Le portrait vient après cette première couche, matrice avant-gardiste.
Il en sort des figures qui s’extirpent de la fibre, de cette toile de lin, ce tissu imprégné.
Il devient cellulaire tellement il est emprunt de ma vitalité.
Des superpositions, de matières et d’envies, des couches de peinture, de pastel précis.
Des mouvements de la main qui puisent au bon endroit et puis vous donnent à voir, à toucher, va savoir.
La toile prend vie d’abord sans vraiment crier gare, apparaît un nez flou qui en premier suffoque, par immaturité, pas tout à fait formé.
Flanqué d’une ombre brune, prend sa respiration mais il attend la suite pour vraiment s’imposer.
La bouche ne dit rien, pour l’instant en tout cas, rien de définitif, c’est sûr je vous le jure jamais ne s’ouvrira, toujours elle suggérera.
Elle appelle un regard, le vôtre ou bien le sien, il en dit davantage car sa pupille est nette, trop nette par moment car le contraste est fort, pas assez nuancé, on en sait trop ou pas assez.
Il arrive que les yeux soient aveugles de tout sens, je recommence alors et j’apprends à nouveau à poser la couleur, à l’instant qu’il fallait, à l’exact emplacement.
Précise mais pas trop, la recette reste floue et le sera toujours, c’est tout son intérêt.
Les couches se chevauchent, la matière prend corps quand je ne le veux pas, alors je recommence.
L’opération s’allonge, en temps et en tension mais c’est une évidence quand soudain on la touche l’impression
recherchée sur la chair du sujet, de la croûte à la peau il n’y a qu’un pas.
La peau est fine et tout en transparence, j’avance à petits pas sur la bonne voie.
Je compose parfois sans savoir ou me mène ce geste qui me porte là où je ne savais pas que je voulais aller.
J’ai soulevé la croûte trop épaisse par endroit et cherche, concentrée, pour mieux me rapprocher de ce vers quoi je tends, intuitivement.
Je recouvre la plaie, peaufine la matière, écarlate en attente.
Ma main et mon esprit sont mes meilleurs outils, main dans la main empruntent un chemin inventif, affranchis simplement de mes inspirations.
Faire parler le sujet, ne pas en abuser, trouver le juste ton pour ne rien imposer.
Montrer dans ces portraits un peu d’humanité.
A tout prix la montrer cette lueur de vie, sans trop en faire surtout pour ne pas tout gâcher et tout abandonner jusqu’à demain seulement, là je le reprendrai où je l’avais laissé, ce tableau trop poussé.
Ne pas s’éterniser quand le geste se heurte, il hésite et appuie quand il devait s’extraire.
Une minute suffit et hop tout est parti.
Un brin d’hésitation, alourdit le tableau, elle dit mon ignorance et ma médiocrité.
Prendre un peu de recul, une nuit pourquoi pas, y voir soudain très clair au lever du matin.
L’équilibre est fragile entre savoir et faire, justesse et savoir-faire, ne jamais trop en faire.
Je pourrais l’attraper quand tout prêt il s’approche, selon sa volonté, quand je ne l’attends pas.
J’ai du pouvoir bien sûr et contrôle la chose mais si ténue parfois qu’elle s’échappe à la hâte.
Je ne l’ai pas saisie au moment opportun mais c’est pour mieux comprendre, elle saura me surprendre.
Incarnée à présent, je sais sans le savoir et sans hésitation j’avance et je progresse.
Elle arrive, tranquille, la composition juste. Elle me saute à la face, les repentirs sous capes.
Le portrait apparaît, je l’attendais venir, c’est comme un nouveau né que l’on connaît déjà.
Je ne vois toujours pas, qui suis-je au bout du compte au milieu de ces têtes qui me font cogiter.
Quand j'aurai la réponse, j'aurai peint autre chose.
Izabeau Jousse